LYNDA LEMAY TOURNE
la raconteuse

Québec, le 12 décembre 2000 - Avant son retour sur une scène française fin janvier 2000, Lynda Lemay poursuit sa tournée québécoise jusqu'au 16 décembre. De passage à la salle Louis Fréchette du Grand Théâtre de Québec les 24 et 25 novembre derniers, elle est une nouvelle fois apparue sur scène sans fard ni artifices, la générosité intacte.


 
 


C'est déprimant novembre parce qu'il n'y a plus la moindre chance que l'été ne revienne nous réconforter avant les fêtes. C'est plate (ennuyeux, ndlr) novembre perdu entre Halloween et Noël avec ce froid glacial et cette neige qui menace de nous tomber dessus à tout moment, justement la journée où on a oublié de mettre notre tuque (bonnet, ndlr) et nos bottes. C'est donc les cheveux et les oreilles dans le vent hostile que des centaines de victimes du Bonhomme Novembre, le cousin du bonhomme sept heures (les Québécois comprendront) se sont rendus au Grand Théâtre pour se faire conter des histoires hilarantes comme Les colons (en français lourdaud/beauf) qui lui a mérité une standing ovation, Chéri tu ronfles, Bande de dégonflés (une des meilleures) ou Au nom des petits frustrés. Elle est aussi rabelaisienne et grivoise quand elle se moque de ces pénis qui restent au repos refusant l'attaque. L'humour peut tout, cette chanson le prouve.

Si Lynda Lemay sait faire rire, elle a aussi le talent de nous faire réfléchir à travers des textes courageux sur l'infidélité, la violence faites aux enfants ou l'abandon des aînés dans les foyers avec Ta place au sous-sol que l'on retrouve sur son plus récent album, Coq à l'âme (WEA). C'est une chanteuse-raconteuse et comédienne qui passe du rire au drame sans jamais s'abîmer dans l'excès et la caricature. Au-delà des textes superbes, il y a cette justesse qui lui permet d'aborder la trisomie, l'handicap d'un enfant, le mal être de la prostituée et l'hypocrisie de ses clients. C'est dérangeant mais tellement poignant et efficace.
Son spectacle dure deux heures. Elle y chante près de 30 chansons dans un décor sobre qui se veut la réplique fidèle de sa propre et bordélique chambre. L'environnement peut apparaître un choix surprenant mais il est comme la musique où l'éclairage est un faire-valoir à des mots simples exprimant des sentiments simples et tellement humains. Lynda Lemay sur scène c'est une multitude de courts-métrages (l'album devait s'appeler Cinéma) livrés sans pudeur et avec un naturel qui désarçonne. Entourée de trois musiciens, elle se donne pour recevoir tout autant, la générosité était ce soir-là réciproque. Il en a fallu du temps pour que le public se résigne à la quitter en promettant de revenir la visiter comme on visite une amie. Samedi elle a gagné un fan et pour moi désormais novembre aura toujours les yeux pétillants de la fille aux cheveux longs.

Pascal Evans à Québec


Pour RFI Musique, Lynda Lemay a bien voulu répondre à quelques questions. Extraits choisis :

Comment as-tu abordé la création de cet album Du coq à l'âme ?
J'avais envie de me faire encore plus confiance que d'habitude. J'ai repris en main la gérance de ma propre carrière parce que je voulais avoir mon mot à dire sur tout ce que je faisais. Au fil des années je me rendais compte que chaque fois que je me faisais confiance, le public me suivait. J'avais aussi envie de faire confiance à mes feelings comme quand j'ai décidé de confier les arrangements à Claude Lemay (dit Mégo, aucun lien de parenté, ndlr). J'avais ce sentiment qu'il allait tout comprendre sans que j'ai à lui expliquer longtemps et je ne me suis pas trompée. Je lui ai donné carte blanche sauf que je lui ai dit de ne pas essayer de donner un son à l'album : "Vas-y chanson par chanson, si t'as le goût d'un style musical dans une toune (chanson,ndlr) et d'aller ailleurs pour une autre. Laisse-toi aller. Ce qui va faire que cet album aura un son, c'est que c'est moi qui chante, c'est ma façon d'écrire et ta façon de composer." Et le résultat final est exactement ce que je voulais entendre.

As-tu eu peur que ces nouveaux arrangements, cette orchestration n'enlèvent une fois sur scène un peu de l'intimité, de la proximité à laquelle tes textes et toi êtes associés ?
Non. Ces orchestrations-là compensent pour l'absence de public sur l'album. Par exemple pour faire passer de l'humour sur un album studio quand on n'entend pas les gens réagir, c'est très délicat. Alors je trouve que Mégo a réussi à faire parler sa musique autant que mes textes parlent et quand on entend les premiers accords un peu discordants de la chanson Crétin par exemple, on a déjà le sourire aux lèvres. J'ai pas besoin forcément d'une orchestration comme celle-là pour arriver sur scène et c'est pour cette raison que je fais la différence entre la scène et le studio. Sur scène elles vont être adaptées différemment.

Tu abordes dans tes chansons des thèmes parfois difficiles, y a t'il un sujet sur lequel tu sais que tu ne pourras écrire ?
C'est vrai que j'ai pas beaucoup de pudeur et j'ose facilement aborder n'importe quel thème si l'inspiration me vient mais je me prépare rarement à écrire sur un sujet en particulier. J'ai déjà parlé de pédophilie, je l'ai pas encore fait sur scène ou sur disque parce qu'à un moment donné, il faut faire des choix . Et puis j'ai pas encore trouvé la bonne musique pour le faire mais au niveau du texte, je pense avoir trouvé le bon angle pour en parler. Mais c'est délicat. J'ai déjà écrit une pièce sur l'inceste qui inspirait de la violence, de la vengeance, rien de bon. On écoutait la chanson pis on restait avec un mauvais goût, ça ne faisait de bien à personne. Je l'ai chantée à ma mère qui m'a déconseillé de la faire. Je fais beaucoup confiance à mon premier public.

Au Québec quand on fait un album qui fonctionne bien, il y a souvent une carrière anglophone qui se dessine rapidement à l'horizon,. Est-ce que c'est ton cas ?
Tout est possible, mais ce n'est pas dans mes projets proches, ça ne serait même pas dans mes ambitions. Parfois mon éditeur, Gérard Davoust, me donne l'exemple de Charles Aznavour qui se fait traduire ses chansons et les interprète entre autres en anglais mais pour le moment ça ne m'intéresse pas. J'ai ben assez de la carrière au Québec et en Europe, avec la vie de famille et le temps que je veux me garder pour écrire. Moi ce que je veux c'est que ça continue en étant toujours heureuse.

As-tu une expression française que tu as fait tienne ou que tu trouves particulièrement drôle ?
Il y a une expression française qu'on a gardée dans l'équipe : "Ça l'fait grave, de chez Jean-Marc Grave", tu peux décliner ça autant que tu veux (rire).

Propos recueillis par Pascal Evans