Lynda Lemay au paradis (14/04/2005)
La Canadienne défend son nouvel album et son opéra folk

BRUXELLES Lynda Lemay était de passage à Bruxelles lundi et mardi pour présenter son opéra folk, Un éternel hiver. Mais là n'est pas la seule actualité de la longiligne Canadienne: elle a sorti il y a peu un nouvel album, Un paradis quelque part. Nous avons rencontré cette grande bavarde à l'accent charmant qui s'est épanchée sur ses deux projets, à grand renfort de gestes et d'éclats de rire.

Pour lancer deux projets comme ça, il faut une sacrée inspiration!

«Il y a une période, quand je sortais l'album et que je débutais l'opéra, je me suis dit que j'étais un peu folle. Et puis je suis maman et la responsabilité familiale est ma priorité. Tout ça en même temps, ça faisait beaucoup. Mais là, les choses se placent...»

Vous aviez besoin de commencer tout de suite l'opéra folk?

«En fait, c'est l'album qui n'était pas prévu. Pendant l'été, j'ai écrit tant de chansons que j'ai eu envie d'en faire un album. On est entrés en studio, c'était très spontané, on n'avait même pas de date de sortie...»

L'album s'appelle Un paradis quelque part. Ce titre s'est imposé d'emblée?

«Non. Il était d'abord censé s'appeler Imprévu, parce que c'était ça: on n'a pas fait de préproduction, on entrait le matin sans savoir quelle chanson on allait travailler. Je voulais que ça se ressente en écoutant l'album: cette magie de la première fois... D'habitude, on enregistre la chanson sur une démo, puis on la reproduit dans le studio, on dirait qu'on perd un peu de cette magie. Donc il devait s'appeler Imprévu... Puis dans les thèmes abordés dans l'album - je parle de la vie, de tous ses déchirements, de la mort... -, il y avait une chanson qui s'appelait Un paradis quelque part, elle était pleine d'espoir... Ça équilibre la tristesse des autres chansons.»

Vous abordez le thème de l'acharnement thérapeutique...

«Les thèmes à grand débat me touchent... Qu'on parle d'avortement, d'acharnement thérapeutique, on cherche la bonne solution. Des solutions, il y en a... mais la bonne, ça... Comment peut-on juger de la décision de quelqu'un alors qu'on n'est pas dans sa vie? Mes chansons démontrent que, dans une même personne, il peut y avoir les deux côtés. C'est le cas dans Paul-Emile a des fleurs. Cette chanson démontre qu'il ne faut pas juger parce que, dans ce genre de situation, on ne sait pas nous-mêmes quelle décision on prendrait.»

Dans J't'ai pas entendu mourir et Les Canards, vous parlez de la mort d'un enfant...

«C'est des peurs de parents, ça... J'écris souvent sur mes angoisses de mère. Dans l'opéra, c'est la même chose. Comme pour exorciser mes peurs, je vais aller là où je ne voudrais jamais que ma vie aille. Ça me fait du bien de me mettre en pleine face certaines réalités en chanson: ça me débarrasse de mes peurs. Ça me secoue et me donne l'impression de faire de meilleurs choix peut-être.»

En parlant d'angoisse, vous avez peur du dentiste?

(Elle rit) «Je viens d'y aller, je ne sais pas s'il a entendu la chanson (Monsieur Marchant, NdlR). Je vais voir: si le travail est bien fait, c'est qu'il n'a pas écouté l'album!»

Les chansons d'amour de cet album sont assez tristes: Qu'est-ce qu'on va devenir, mon homme, Je te trompe...

«Je te trompe est mal comprise. J'ai retrouvé cette chanson au fond d'un tiroir. J'ai voulu faire connaître la musique d'Erik Mongrain. J'ai essayé de trouver un texte qui s'accordait parfaitement avec sa musique. C'était Je te trompe. Cette chanson c'est une femme qui dit à son homme: notre histoire n'est pas si sérieuse que ça, si je dois choisir entre toi et ma carrière, je te quitterais.»

C'est votre cas?

«Je ne peux plus me passer de ma carrière. Il y a des gens qui ont des grands rêves, mais qui ne trouvent pas le chemin pour y accéder. Et moi, je vois que les portes ne cessent de s'ouvrir devant moi. C'est extraordinaire d'avoir un public aussi fidèle, aussi intéressé. J'ai envie de profiter de cette belle vie-là qui m'est offerte.»

Lynda Lemay, Un paradis quelque part (Warner).

Un éternel hiver qui nous donne un peu froid

Son opéra folk est bouleversant

BRUXELLES Difficile de retranscrire les émotions que l'on a ressenties mardi soir, en assistant au spectacle de Lynda Lemay, Un éternel hiver, tant la palette est large. Sur la scène, pas de fioritures inutiles: un bar à gauche, quelques tabourets, une table, deux chaises et une enseigne lumineuse pour figurer le restaurant de Micheline, un fauteuil, un berceau à droite pour se projeter dans la chaumière de Manon et Jeff... Derrière, quelques instruments. Sur cette scène presque nue, se noue le destin tragique de cinq personnages. Il y a Manon (éblouissante Fabiola Toupin), amoureuse de Jeff (Yvan Pedneault), ravagé de tristesse, violent, sombre. Elle attend leur premier enfant. Il y a Nathalie, la mère de Jeff (Linda Lemay), étranglée de la culpabilité de ne pas avoir éduqué correctement son fils. Il y a Micheline (Manon Brunet), la mère de Manon, qui assiste au désarroi de sa fille et qui en haït le responsable. Et il y a l'agent Messier (Daniel Jean), «40 ans et des poussières», amoureux de Manon, «24 ans et des embrouilles», qui l'attend.

Ces cinq personnages vont tout au long du spectacle s'aimer avec rage et se déchirer. La prestation de Fabiola Toupin, dans le rôle de la douce Manon, est littéralement bouleversante. Si les éclats de rire ont fusé lorsqu'elle refusait les avances de l'agent Messier («C'est pas parce que t'as une arme que tu sais bien tirer...»), l'émotion s'est rapidement emparée du Cirque Royal, emmené par les mots de Lynda, justes, vrais, douloureux. Et de cet Eternel hiver, on en sort en ayant un peu froid, l'estomac un peu tordu, des questions plein la tête, les pensées un peu ailleurs, un peu là-bas, avec Manon et sa détresse silencieuse, avec Jeff et son abîme de désespoir dont il ne confie rien et dont il ne se relèvera pas... «Puisque le silence tue, il faut toujours mettre des mots sur les non-dits insupportables.» Lynda l'affirme. On la croit.

Lynda est ce soir au Forum de Liège (04/223 18 18).

Propos recueillis par Déborah Laurent

© La Dernière Heure 2005